Emploi, L’Etat change de stratégie

Selon les derniers chiffres publiés par le Haut commissariat au plan, la population en chômage au niveau national est estimée à 1.191.000 chômeurs au premier trimestre de 2014, soit 114.000 chômeurs supplémentaires en une année. Ce volume correspond à un taux de chômage de 10,2%, contre 9,4% une année auparavant. L’institution en charge des statistiques officielles relève que le chômage des diplômés de l’enseignement est deux fois plus élevé que la moyenne nationale. Près d’un quart des lauréats des facultés sont sans emploi. Les diplômés de niveau moyen sont à un taux de chômage de 16,1% contre 20,9% pour les personnes qui détiennent une qualification professionnelle. De manière générale, le marché du travail se caractérise par l’arrivée de 180.000 demandeurs d’emploi par an sans compter le stock de chômeurs existants. Des chiffres alarmants. D’ailleurs, le ministre de l’emploi, Abdeslam Seddiki le reconnait. D’après lui, la situation du marché de travail laisse beaucoup à désirer. Une première phase de diagnostic sur l’emploi au Maroc a été menée entre mai 2013 et mars 2014. Elle a permis de relever clairement les limites et les défaillances du marché de l’emploi. Il s’agit, précise Seddiki, d’un marché marqué par l’existence de chômage de longue durée combiné a un faible taux de création d’emploi et de l’incohérence des politiques publiques de l’emploi ainsi que leur incapacité de répondre favorablement et efficacement aux besoins du marché du travail et aux objectifs tracés sur le plan national. À cela s’ajoute la faible création de l’emploi productif. « Le chômage a pris une dimension structurelle, notamment parmi les jeunes demandeurs d’emploi pour la 1ère fois, à noter aussi que le niveau des qualifications de la population active est bas et le secteur est dominé par des emplois vulnérables à raison de 66% », souligne le ministre. Les nombreuses stratégies en faveur de l'emploi lancées jusqu'à présent n'ont pas été en mesure d'inverser la tendance.

 

Il est donc temps de réagir et de passer au concret. Pour ce faire, le département de l’Emploi a lancé les travaux de la stratégie nationale de l’emploi, que le ministre Sed- diki qualifie de « première ». Son objectif principal est de « contrecarrer ce fléau via un développement économique en encourageant l’investissement ». Il est question d’améliorer l’accompagnement des mobilités sur le marché du travail en renforçant la prévalence de l’emploi productif et décent, voire améliorer la gouvernance du marché du travail. En effet, tout est question de bonne gouvernance en bonne et due forme dans un marché marqué par des dysfonctionnements. Ceux-ci concernent, selon le ministre, l’écart significatif entre l’offre et la demande des postes d’emploi décents et productifs et la faible dynamique de création d’emplois par rapport à l’évolution de la demande sociale. Après l’étape de diagnostic, la seconde étape qui vient de démarrer, a été lancée par des concertations avec toutes les parties prenantes pour la définition de la nouvelle feuille de route en matière de stratégie nationale de l’emploi. « L’élaboration de la future feuille de route se fera en concertation avec différents intervenants, aussi bien nationaux qu’étrangers : les secteurs gouvernementaux concernés, les syndicats, le patronat, les représentants du secteur des droits de l’Homme, le Conseil économique, social et environnemental, l’Union européenne, l’Organisation internationale du travail… Le but est de parvenir au plus large consensus possible autour d’une plateforme commune qui facilitera plus tard la mise en oeuvre de la stratégie », assure le ministre. Ce dernier se donne un peu plus de trois mois pour boucler la phase de concertation. La nouvelle stratégie devra être opérationnelle au plus tard en septembre prochain. Cette deuxième phase aboutira à l’élaboration d’une vision à court, moyen et long termes de l’action du gouvernement en matière d’emploi. Elle est aussi à même de garantir une meilleure qualification du capital humain. La création des emplois en quantités et en qualités suffisantes figure également en haut de la liste des priorités. Pour cela, il est aujourd’hui question de rénover le dispositif des mesures actives du marché de travail. Le plan d’action de la stratégie sera appuyé financièrement par l’Agence espagnole de coopération internationale pour le développement et exécuté par le ministère marocain de l’Emploi, avec le soutien technique du Bureau international du travail (BIT). Concernant la contribution de l’agence espagnole, l’ambassadeur espagnol au Maroc a indiqué que la nouvelle stratégie marocaine de l’Emploi est financée à hauteur de 4 millions d’euros. De son côté, le BIT apportera son expertise en la matière au profit de ses partenaires marocains en les faisant bénéficier des expériences menées dans d’autres pays. Selon ce bureau, la stratégie nationale reste purement marocaine. Elle sera développée par une équipe locale mais qui sera dirigée par un expert international désigné par ledit Bureau.

De nouveaux programmes avec de nouveaux objectifs

Les résultats de tous les programmes d’aide à l’emploi déjà mis en place sont peu satisfaisants. Idmaj qui a permis l’insertion de 399.000 jeunes est prisé par les entreprises qui cherchent surtout à bénéficier de l’exonération de l’IR. D’après le ministre de l’Emploi, ce programme doit être revu. Moukawalati, destiné à la promotion de l’auto-emploi, est un échec, comme l"a reconnu le ministre lui-même. L’idée est de pallier les dysfonctionnements et de lancer de nouveaux programmes avec des objectifs précis et réalisables. « D’autres programmes prendront le relais », annonce Seddiki. Ils ont pour noms « Moubadara » (Initiative) dont l’objectif est de créer 25.000 emplois, « Taatir » (encadrement), lancé au niveau du ministère de l’enseignement supérieur et dont le but est de « recycler » et de former 10.000 licenciés de différentes disciplines moyennant un budget de 160 millions de dirhams. « Nous avons commencé cette année avec quelque 3.000 bénéficiaires. Ils reçoivent des formations dans les Écoles nationales de l’enseignement supérieur », explique Seddiki. La politique active de l’emploi semble bien pensée, reste à l’appliquer avec rigueur. Il faut juste espérer que des résultats concrets suivent❚

 

 

Le chômage vu par l’OIT

L’Afrique du Nord et le Moyen-Orient est la région où près d’un jeune sur trois en âge de travailler est incapable de trouver un emploi. Cette zone connait les taux les plus élevés de chômage en 2014. Dans son dernier rapport annuel sur le travail dans le monde, « Un développement riche en emplois », l’Organisation internationale du travail (OIT) constate que les pays qui investissent dans la qualité de l’emploi sont ceux qui se développent le mieux et progressent le plus contrairement aux économies émergentes ou en développement qui ont accordé moins d’attention à la qualité de l’emploi. Les auteurs de ce document précisent également que les institutions chargées du travail et de la protection sociale sont des facteurs essentiels de la croissance économique, des emplois de qualité et du développement humain. L’OIT estime que la pénurie d’emplois de qualité est un facteur d’émigration déterminant, en particulier chez les jeunes diplômés des pays en développement. L’organisation onusienne rappelle d’ailleurs qu’en 2013, plus de 230 millions de personnes vivaient dans un pays différent de leur pays de naissance – une hausse de 57 millions par rapport à l’an 2000. L’OIT invite, dans un premier temps, les pays à stimuler la diversification des capacités de production plutôt que de se contenter de libéraliser les échanges. Puis, à renforcer les institutions du marché du travail plutôt que de négliger les normes du travail. Enfin, d’étendre les socles de protection sociale bien conçus comme moteurs d’un développement inclusif et pas seulement comme filets de sécurité étroitement ciblés sur les pauvres. Les experts de l’OIT en sont convaincus : le développement durable n’est pas possible sans faire avancer l’agenda pour l’emploi et le travail décent.