EMBARGO RUSSE : Une manne ou une menace pour le Maroc ?

Après des épisodes diplomatiques mouvementés, liés à la crise ukrainienne, l’Union Européenne et les États Unis ont décrété des sanctions économiques contre la Russie, prévoyant l’interdiction des livraisons des produits duales, des équipements et du matériel de production de pétrole. Les banques russes n’ont pas été épargnées : Sberbank, VTB, Gazprombank, VEB et Rosselkhozbank sont également touchées. La réponse de Vladimir Poutine ne s’est pas faite attendre. Le 7 août dernier, la Russie a expressément interdit, et pour une durée de 12 mois, les importations de viande, de poisson, de légumes et fruits, de lait, de fromage et de charcuteries des pays de l'Union Européenne, des États- Unis, d'Australie, du Canada et de Norvège. Le lundi 8 septembre, les ambassadeurs de 28 états membres de l’UE se sont réunis à Bruxelles pour votre de nouvelles sanctions : Rosneft, Transneft et Gazprom Neft ont été ajoutées à la liste des entreprises publiques interdites d'accès aux marchés de capitaux européens. Pour récapituler, aucune entreprise publique russe réalisant un chiffre d'affaires annuel de plus de 1 000 milliards de roubles (20,8 milliards d'euros) ne pourra lever des capitaux ni souscrire à des emprunts sur les marchés européens. Cette surenchère de mesures coercitives musclées laisse sans doute présager une exacerbation future du conflit. En effet, des dommages économiques collatéraux sont dores et déjà prévus. Du côté russe, les effets sur la Bourse de Moscou, sur le cours du rouble (qui a atteint vendredi 12 septembre, son niveau historique le plus faible face au dollar 37,97 roubles) et sur l'attitude des investisseurs sont déjà visibles. Du côté européen, plusieurs pays sont en situation de quasi dépendance au gaz russe et peuvent à tout moment se retrouver paralysés si la Russie décide de suspendre leur approvisionnement. Sur le plan agroalimentaire, la Commission Européenne prévoit des pertes estimées entre 5 et 12 milliards d’euros suite au boycott russe voté contre les produits émanant de la zone UE. Les ministres de l’agriculture des pays membre de l’UE se sont réunis le 5 septembre pour débloquer une enveloppe de 150 millions d’euros afin de sortir le secteur maraîcher d’une asphyxie certaine. Mais ces dispositions s’avèrent d’ores et déjà insuffisante car ces subventions ne parviendront guère à éviter l’engorgement du marché communautaire suite aux invendus en Russie. La Pologne, à elle seule, aura plus de 700.000 tonnes de pommes sur les bras! Submergée par un nombre disproportionné de demandes de subvention, la Commission Européenne s’est vue obligée de revoir sa copie. Une nouvelle enveloppe devrait être proposée dans les prochaines semaines. Entre temps et pour faire face à cette impasse, certains exportateurs français de fruits et de légumes ont paraît-il trouvé une parade afin de contourner cet embargo. Selon Jacques Rouchaussé, Président des Producteurs de Légumes de France, les exportateurs français font réétiqueter leur production dans des pays non soumis à l’embargo, à l’instar du Maroc, afin d’en occulter la provenance. Même si la crédibilité de ce témoignage, qui a fait les choux gras de la presse française, reste discutable compte tenu de la vigilance de nos services douaniers face à de telles fraudes, il nous renseigne cependant sur l’inquiétude des exportateurs européens de se voir doublés par leurs concurrents marocains sur le marché russe. Inquiétude parfaitement justifiée car le Maroc est depuis 2013 le premier partenaire commercial de la Fédération de Russie sur le continent africain avec des échanges commerciaux s’élevant à 2,5 milliards de dollars en 2013, contre de 1,5 milliard de dollars en 2010. Il existe donc un potentiel non négligeable pour le Royaume de développer son partenariat commercial avec la Russie et le business plan du ministère de l’Économie, mis à jour au mois d’août dernier témoigne des ambitions que le Maroc souhaiterait atteindre. Alors que les exportations marocaines vers l’UE n’augmenteront que de 4,2% en 2015, celles ci se verront croitre de plus de 6,2% en 2015 en direction de l’Europe de l’Est. Ce sont surtout les agrumes marocains qui ont la cote sur le marché russe qui absorbe près de 55% des exportations marocaines pour ces produits. Rappelons que cette marge de progression témoigne sans doute d’un début de prise de distance de nos autorités par rapport au marché européen suite à l’augmentation des prix d’accès aux fruits et légumes importés de pays hors zone euro. Cette mesure, validée à l’unanimité par la Commission Européenne, est une mesure protectionniste qui devrait impacter négativement la compétitivité des produits agricoles marocains au profit des importations intra européennes à partir du 1er octobre 2014. D’un point de vue politique, les Russes, alliés de l’Algérie, se sont historiquement abstenus de prendre une quelconque position sur la question épineuse du Sahara marocain. A la surprise générale, la Russie a voté favorablement la dernière résolution du Conseil de Sécurité sur le Sahara au moment même où les États-Unis, chapeautés par John Kerry, venaient de faire circuler un projet d’enquête sur le respect des droits de l’Homme dans les provinces du Sud. Cette situation était sans doute une réponse des États-Unis à la décision du Maroc d’annuler l’opération d’exercice militaire African Lion 2013. Que penser de ce revirement de situation ? Le Maroc, de par sa situation géostratégique constitue un élément clé dans la stratégie globale de l’OTAN. Qualifié d’ « Allié non- OTAN majeur », le Royaume constitue un bastion solide dans la lutte contre les menaces terroristes, le trafic de drogues ou la migration clandestine émanant de la zone saharo-sahelienne. C’est pour cette raison évidente, que les grandes puissances que sont les États-Unis, les pays de l’Union Européenne et la Russie, s’intéressent de près à ce partenaire stratégique. Cependant, les divergences politiques et économiques actuelles rappelant le contexte diplomatique périlleux de la Guerre Froide, pousseront très vraisemblablement encore une fois plusieurs pays, dont le Maroc, à subir des pressions de tous genres en cas de rapprochement avec la Russie. Le dernier de cas de figure a été observé en France où François Hollande, au summum de son impopularité sur le plan économique (montée du chômage, croissance lente, creusement du déficit public), a dû suspendre la vente de deux navires Mistral commandés par la Russie et de renoncer à la modique somme de 1,2 milliards d’euros sous la pression conjointe des États-Unis et de l’Union Européenne. Dans la même lignée, le Maroc a annulé le lancement, à bord de la fusée russe Soyouz, de ces deux satellites d’observation et de reconnaissance acquis auprès de Thalès Alenia Space et d’Airbus Space Systems en 2013 pour un montant de 5,5 milliards de dirhams (lancement compris). Le Maroc, se verra obligé de lancer ses satellites depuis un territoire sous la juridiction française pour des questions de licences suite à l’embargo imposé à la Russie. Dans un contexte politique international trouble, le legs de la guerre froide est loin d’être estompé. La bipolarisation politique et diplomatique est entrain de se traduire par un début de guerre économique et de tirs croisés à base de représailles financières. Le Royaume devra plus que jamais éviter de s’exposer aux ondes de choc qui émanent de ce bras de fer entre les deux blocs. Le Maroc dispose-t-il des moyens diplomatiques nécessaires pour désamorcer les pressions politiques opportunistes qui peuvent entraver ses projets de croissance et de développement ?❚