Femmes célibataires : « L’enfer c’est les autres »
Vivre seule devient un véritable calvaire pour les Marocaines

Lorsque vous êtes une femme célibataire, chercher un loyer ou vivre seule devient un véritable chemin de croix. La journaliste Chahrazad Ajroudi en a fait la triste expérience. Un énième cas de violence morale et de stigmatisation sociale dont souffrent en silence beaucoup de femmes marocaines.



En larmes et complètement effondrée, Chahrazad Ajroudi raconte dans cette vidéo comment sa vie s’est transformée en enfer depuis qu’elle a acquis cet appartement en copropriété. « Dès le premier jour, les voisins ont fait montre de mauvaise foi. Me voyant arriver avec ma petite sœur, ils n’ont pas apprécié de voir vivre une femme seule et ils ne se sont pas gênés pour le montrer », raconte la jeune journaliste.

L’enfer

Tapage, dérangements de tout type, sabotage, harcèlement... les deux jeunes filles en ont vu de toutes les couleurs. « C’est le vrai sens de la « hogra », mes voisins n’ont épargné aucun effort pour nous rendre la vie difficile. Nous vivons tout le temps dans la peur et l’insécurité. Nous subissons depuis des mois une grande violence verbale et morale. Dernièrement, ils sont passés à la vitesse supérieure et se sont attaqués à nos biens avec des actes de sabotage que nous avons pu filmer », ajoute la voix tremblante la journaliste, avant de s’effondrer et de fonder en larmes devant la caméra. Un triste récit qui rappelle bien d’autres. Des expériences amères de jeunes femmes ayant été obligées de loger seules ou ayant tout simplement opté pour leur indépendance. Un choix que la société n’arrive toujours pas à tolérer et à accepter.

« Après avoir décroché mon diplôme, j’étais affectée à Rabat. Au bout de quelques jours de recherche, j’ai compris que trouver un loyer ne sera facile. L’intermédiaire, non plus, n’était pas très chaud pour me trouver où loger. Son regard en disait long et ses mots étaient vraiment crus et durs lorsqu’il m’a expliqué qu’une femme seule n’est pas la bienvenue. « Ce sont des résidences respectables et les voisins ne veulent pas de célibataires parmi eux car c’est toujours une source d’ennuis », m’a-t-il lancé sans gêne. J’étais choquée ! », nous raconte Rim Abdellaoui, jeune fonctionnaire. Cette dernière arrive tout de même à trouver un logis, mais les problèmes ne faisaient que commencer. « Ca a commencé par des regards et des gestes franchement hostiles dans l’ascenseur : Pas de bonjour et on me tourne carrément le dos », se rappelle-t-elle avec amertume.



Puis lorsqu’elle commence à recevoir de la visite et des amis, les choses vont s’aggraver. « Ils se permettaient de venir frapper à ma porte et de m’apostropher dans la rue pour me demander de ne plus recevoir de gens. Mon petit chien dérangeait beaucoup aussi. On me disait que je dois m’en défaire car il empêche les anges de rendre visite à cet immeuble !!! », raconte la jeune femme, toujours incrédule. Contrôlée et harcelée en permanence, au bout d’un moment la jeune femme fait une dépression grave. Ses parents arrivent et déposent une plainte pour la protéger, mais elle n’arrivait plus à vivre dans cet endroit et préfère quitter les lieux.

Elles dérangent



« Une femme seule dérange toujours. Et lorsqu’elle montre des signes d’indépendance, elle déstabilise et remet en question les préjugés et les idées préconçues par rapport à la femme et à sa place dans la société », nous explique Mehdi Sebbar, chercheur en sociologie. « Malgré ces airs d’ouverture, la société marocaine est profondément conservatrice. Une femme qui conduit une voiture, une autre qui loge seule, une femme qui s’habille librement, qui sort la nuit... Elles dérangent toutes », explique le chercheur. La société patriarcale peine à les accepter et à tolérer leur émancipation. « La preuve regardez les réactions des voisins, de la famille ou même des inconnus lorsqu’ils sont en présence de telles femmes. Ces réactions sont souvent hostiles et le degré de gravité dépend du niveau intellectuel, socio-économique ou même de l’éducation reçue », analyse le chercheur.

Une société qui n’arrive pas à accepter l’émancipation de la femme malgré le grand rôle qu’elle joue dans son évolution. « Là l’on peut parler encore une fois de cette schizophrénie de la société marocaine », commente Sebbar. Postée par le collectif « Hors la loi », sur sa page facebook, la vidéo provoque l’ire des internautes. Luttant pour les libertés individuelles et pour l’abrogation de l’article 490, le collectif commente « Une femme vivant seule n’est pas un crime » en ouvrant le débat sur une problématique dont souffrent des milliers de Marocaines à travers le royaume.



Mentalités récalcitrantes



« Une société conservatrice est profondément rigide. Pour changer les choses spécialement pour les femmes vivant seules, il faut absolument activer la loi et engager des poursuites judiciaires contre les agresseurs. Mais ce n’est pas suffisant, la sensibilisation et le travail sur terrain des associations de protection des femmes sont primordiaux dans le changement des mentalités », réagit au post Abdel Rachmoun.

Scandalisés et profondément solidaires, les activistes féministes et les internautes ont déjà lancé un hashtag contre la tutelle de la loi, de l’Etat et de la société sur notre vie privée. Initié par Sara Soujar, militante des droits de l’Homme suivie par des milliers de followers, ce hashtag se veut revendicatif. Il conteste toute tutelle sur la femme, revendique son indépendance et son droit de vivre librement dans une société qui respecte ses choix et n’essaie pas de la contrôler. « Tant que nous ne causons de mal à personne, que nous ne touchons pas les autres dans leur intimité, nous avons le droit en tant que femmes de vivre seules, de recevoir nous amis et de vivre comme ça nous chante. Nos foyers sont tout aussi dignes de respect que ceux abritant des familles dans le sens traditionnel », réclame Soujar.

Samira Muheya, activiste de la Fédération des ligues des droits des femmes, de son côté dénonce toute stigmatisation à cause du choix de vivre seule. « Ce récit décrit la souffrance de beaucoup de Marocaines qui ont été obligées ou ont choisi tout simplement leur indépendance. Je connais de nombreuses jeunes femmes qui ont choisi de quitter le Maroc carrément pour fuir cette triste réalité et vivre tranquillement ailleurs », conclut, avec amertume, Samira Muheya.