Libre cours
Naim KAMAL

Mohamed Ennaji, universitaire, a pris la mouche. Parce que j’ai écrit dans Quid.ma qu’un temps, il n’y a pas si longtemps, il accourait à Rhamna prêter allégeance lorsque le soleil de l’association Essaouira Mogador et de la Fondation des trois cultures et des trois religions a cessé de briller pour lui ? Ce faisant, je n’ai pas aboyé, mais juste voulu rappeler des vérités prouvables et attirer l’attention sur ce qu’il y a de plus exacerbant chez une bonne partie des élites marocaines, entre autres universitaires : l’absence de congruence, ce décalage entre le discours et les actes qui les conduit à se faire contorsionnistes intellectuels pour adapter la réalité à leur pensée et à leurs intérêts, ce qui est pour beaucoup dans la régression de leur influence sur la société et ses mouvements de fond.

Par ailleurs, M. Ennaji devrait savoir que le dépit n’est pas un bon moteur pour l’analyse et la réflexion. Mais les faits d’abord. Sur sa page facebook, M. Ennaji écrit : «j’ai voté pour ce parti [le PJD] pour des raisons précises: qu’il le veuille ou non il participe à l’effritement du pouvoir absolutiste, ET ÇA C’EST UNE URGENCE CAPITALE.» Il explique ensuite que seul ce parti et, entre parenthèse, Al-adl wa Al-ihssane, sont en mesure de calmer la rue si elle venait à se soulever.

Ennaji en arrive ainsi à valoriser le 1,5 million de voix qui ont voté PJD au détriment des 6,7 millions qui ont porté leur choix sur les autres partis parce que leurs voix sont le produit de l’influence des notabilités, de l’argent et de l’administration encore influente dans le monde rural. Enfin l’éminent universitaire met sur le compte des qualités de communicator de Benkirane, ce qui n’est pas faux, la réactivité de l’électorat qui a voté PJD avec le discours du chef du gouvernement. Mais ce n’est toujours que 1,5 million sur 8,7 millions de votants. Loin de moi l’idée de comparer Abdelilah Benkirane, dont l’autoritarisme est avéré, à Hitler ou à Staline. Mais ces deux grands dictateurs de l’histoire de l’humanité, élus, ont été des communicators, cela n’a pas fait le bonheur de leurs peuples ni des autres peuples d’ailleurs. Tout comme la communication n’est pas forcément un gage de bonne gouvernance.

L’aptitude de ces islamistes à être des soupapes de sécurité qu’il leur attribue n’est pas non plus acquise. C’est une idée qu’ils veulent bien créditer, mais elle est loin de correspondre à la vérité. Le mouvement du 20 février a été cantonné puis éteint par l’habileté, appelons les choses par leur nom, du Makhzen. A l’exception de Benkirane, la plupart des gens du PJD, sa jeunesse et celle d’Al-adl, ses ténors, dont je ne citerai que Ramid et Hami-eddine, ont été dans la rue chaque jour que faisait Dieu pour l’enflammer.

C’est le PJD qui a financé et imprimé les portraits géants de Ali El Himma et Mounir Majidi, l’un parce qu’il présentait à leurs yeux un rempart à leur marche sur le pouvoir, l’autre pour canaliser la colère sur les affaires du palais. La question est donc de savoir ce que leurs militants feraient si l’occasion se représentait. Mais venons-en à la raison principale : Le PJD, «pour des raisons précises, qu’il le veuille ou non», participerait «à l’effritement du pouvoir absolutiste». Sauf accident, la démocratisation, avec ses hésitations et ses bégaiements, est dans le sens de l’Histoire.

En leur temps, l’Istiqlal, l’USFP et la nouvelle gauche même si la démocratie ne correspondait pas à son programme, ont contribué au recul de l’absolutisme. Mais je ne suis pas sûr que ces islamistes, que l’on tente de nous vendre comme le pendant musulman des démocrates chrétiens, soient des parangons du rejet de l’absolutisme. Comment se pourrait-il alors que leur idéologie respire et transpire la poigne de fer de la charia.

Ai-je besoin de rappeler, rien que pour l’exemple, leur opposition au plan d’intégration de la femme dans le développement, leur refus de la liberté de conscience, leur attitude hostile à la légalisation de l’avortement, ou, un étage plus bas, leur silence dans l’affaire des jupes d’Inezgane et le lynchage du travesti de Fès, leur mépris des lois et des procédures dans le cas du film Much Loved ou encore le trémoussement de J. Lopez sur 2M… ? Vous ne vous en êtes peut-être pas rendu compte, mais en votant PJD, vous avez voté pour ça M. Ennaji !