Libre cours
Naim KAMAL

Dans tout autre pays, normal, la mise à la retraite ou à l’écart d’un patron des services de renseignement et d’espionnage passerait pour une formalité administrative qui susciterait quelques commentaires sans plus. En Algérie, le départ, en fait le limogeage du général Mohamed Médiène, dit Toufik, patron du Département de Renseignement et de Sécurité (DRS), est un évènement capital qui fait couler beaucoup d’encre. Formé en 1961 par les bons soins du KGB au faîte de la gloire de l’empire soviétique, le général Toufik n’a cessé de gravir les échelons et de cultiver le secret jusqu’à ce qu’il intègre le cercle très fermé des «rboba» (les dieux) de l’Algérie que décrit formidablement bien Yasmina Benkhadra, un ancien des services devenu écrivain à succès, dans Qu’attendent les singes (Ed. Julliard). Toufik était alors colonel et avait participé, en janvier 1992, à la chute du president Chadli Benjedid et à l’interruption du processus électoral qui devait conduire le FIS au pouvoir, sinon à son partage avec les militaires. C’est en 1990 qu’il succède au général Mohamed Bétchine avec la transformation des services de renseignement en DRS. Le général le plus secret de l’Algérie croit avoir atteint le sommet qui fait et défait les Présidents et les gouvernements lorsqu’il réussit en alliance avec Abdelaziz Bouteflika qu’il a soutenu dans la conquête de la présidence en 1999, à dégommer en 2004 le tout puissant chef d’état-major de l’armée, le général Mohamed Laamari qui avait lui-même auparavant effacé un autre puissant général Khaled Nezzar. Ainsi va l’Algérie.

Le général Médiene, très bien informé par un DRS omnipotent et ubiquitaire, n’était pas sans savoir que Abdelaziz Bouteflika n’était pas un homme de partage et qu’à un moment ou un autre, l’un ou l’autre allait se débarrasser de son rival. Et il faut bien dire qu’il a tenu tout de même onze ans après le coup contre M. Laamari. Ce qui lui fait en tout vingt cinq ans. Il passe ainsi pour le recordman de la longévité à la tête des services similaires à travers le monde. Le démantèlement du DRS qui a précédé le départ de Toufik lui-même pouvait paraitre normal. Ce qui était anormal c’est que tous les oeufs soient dans le même panier et qu’un seul homme puisse avoir la main sur la sécurité intérieure et extérieure, les renseignements généraux, la lutte contre le terrorisme, la gestion du Polisario, la police judiciaire et la manipulation des supports médiatiques algériens. Mais ce démantèlement et le départ du «robb dzaïr» ont été opérés sur fond de guerre de succession et d’un sanguin affrontement pour les milliards de pétrodollars, avec un nom qui revient pour succéder à Bouteflika, son frère Saïd. L’installation du général Athmane Tartag, homme jusqu’à nouvel ordre de la présidence, à la tête d’un DRS à reconstruire et le limogeage du general Toufik ont le mérite d’apporter de la lumière sur la course contre la montre et la mort, celle du président, qui use au quotidien l’Algérie et les Algériens.

Le pays bruit de rumeurs et de scénarii allant d’une entente entre les clans pour que le départ de Toufik entraîne dans sa suite celui de Bouteflika, à la victoire du clan du président dont la prochaine victime ne serait autre que l’actuel vice-ministre de la Défense et chef d’état-major, le général Gaïd Salah. Mais l’opacité à la soviétique du régime est telle qu’on se perd en lectures et en conjectures à Alger. Un seul constat semble concilier les observateurs : sauf évènement majeur, à l’instar des émeutes du 5 octobre 1988, l’Etat algérien, militaire et policier, n’est pas prêt de changer.