La dernière séance
Vincent HERVOUET

Barack Obama au Congrès pour son dernier discours sur l’état de l’Union. L’image est soignée, l’Amérique a peu de tradition mais y tient d’autant plus. Le parterre des élus, la galaxie étoilée des généraux d’Etat-major, les sages de la Cour suprême et dans la loge de la première dame, les invités d’honneur triés sur le volet : un réfugié syrien, un Pakistanais naturalisé qui a servi dans l’armée américaine en Irak, des femmes voilées et Michelle dans une robe jaune comme un soleil levant.

Tous les détails comptent. L’essentiel est invisible : le peuple des téléspectateurs car le discours travaillé depuis des semaines est retransmis en « prime time ». Le téléspectateur américain qui deviendra dans quelques semaines cet électeur méfiant qui déteste de plus en plus Washington mais qui contemple cette connivence des élites dans la bonne humeur des fêtes de début d’année.

Deux des trois sénateurs engagés dans les primaires ont d’ailleurs préféré se tenir à l’écart et continuer la campagne des primaires sur le terrain plutôt que de faire de la figuration au Capitole. C’est prudent. Donald Trump qui mène la course en tête dans les sondages n’aurait voulu pour rien au monde s’exhiber au sein de l’establishment ! Il a pourtant été la vedette du discours. La cible privilégiée du Président.

On imaginait que Barack Obama ferait le bilan de ses mandats. En fin de mandat, les hommes politiques polissent le marbre de leur propre statue car plus personne ne prend la peine de le faire à leur place. Obama est à part. Il a été blagueur là où on l’attendait pompeux. Sur les sujets graves (terrorisme, économie, immigration), son énergie et sa confiance semblaient celles d’un entraineur s’adressant à ses joueurs comme dans la série Friday Night Lights (« Clear eyes, full heart, can’t lose ! »).

A cœur vaillant, rien d’impossible. Il a pris l’exact contrepied des Républicains en campagne. C’est l’antidote au poison du catastrophisme quotidien de Donald Trump. Quand celui-ci prétend que l’économie américaine est « assise sur une énorme bulle », l’autre agite le taux de chômage tombé à 5%, un record depuis son élection en 2008…

Il y a un mystère Obama. Huit ans qu’il siège au firmament de la scène mondiale et qu’il reste une énigme. D’une beauté de sphinx et d’une froideur qui empêche de prendre pour argent comptant son optimisme devant le Congrès ou sa larme à l’œil en évoquant la mort des enfants à cause des armes à feu en vente libre.

Obama est un animal politique qui garde le contrôle. Le contraire de ses prédécesseurs, Bush ou Clinton qui étaient aussi roués mais se laissaient déborder par leurs passions. Barack Obama appelle l’Amérique à ne pas avoir peur… et regrette amèrement que le pays reste divisé…

On pourrait croire qu’à l’heure de s’effacer, il prône l’union nationale. Pas du tout ! C’est un discours offensif, clivant, une harangue de campagne. Il tacle à trois reprises Donald Trump sans jamais le nommer et sans jamais se demander d’où vient sa popularité. Idem quand il relativise le danger des djihadistes qui ne font peser aucune menace mortelle sur les Etats Unis. C’est faire peu de cas del’Irak et de la Syrie dont la survie est en cause et de la menace qui pèse sur le Moyen-Orient, le Maghreb et l’Europe.

Derrière le Président, demeure le sénateur Obama. Le politicien derrière le prix Nobel. Sa gloire sera de faire élire un candidat démocrate après lui. Cela n’est pas arrivé à un président démocrate depuis un demi-siècle.