Automobile. La pénurie des semi-conducteurs étouffe le marché
La crise des semi-conducteurs touche le marché automobile marocain

La crise mondiale des semi-conducteurs n’a pas épargné le marché marocain de l’automobile. Les professionnels ne prévoient pas de retour à la normale avant la fin du premier semestre de l’année prochaine.



«Nous sommes face à un réel chamboulement de la chaîne logistique mondiale dans l’automobile. La pénurie des semi-conducteurs à l’échelle internationale impacte lourdement les professionnels du secteur. Même au Maroc, nous accusons aujourd’hui le coup », reconnait le président de l'association des importateurs automobiles au Maroc (AIVAM), Adil Bennani. Les derniers chiffres publiés par l’AIVAM montrent en effet que malgré la croissance enregistrée au niveau des ventes de voitures neuves durant le mois de septembre 2021 par rapport à mois précédent, les ventes sont en chute de 7,31% en comparaison avec la même période de l’année 2020. Et ce n’est pas la demande qui fait défaut. Au contraire, elle suit une tendance haussière selon A. Bennani. Le hic : un manque flagrant de voitures sur le marché et un stock qui ne permet pas de satisfaire la demande.

Des pertes colossales

Le marché des semi-conducteurs pèse près de 440 milliards de dollars au niveau mondial. La crise actuelle devrait coûter près de 210 milliards de dollars à l'industrie automobile en 2021, selon le spécialiste AlixPartners. De son côté le cabinet IHS Markit estime que les pénuries amputeraient la production mondiale de 10,6 millions de véhicules en 2021. La perte de chiffre d'affaires serait de 60 milliards de dollars pour 2021, d’après l'agence Bloomberg. Au Maroc, la situation est alarmante et les importateurs font face à d’énormes difficultés d’approvisionnement avec des délais de livraisons qui ne cessent de s’allonger. «De 3 mois en période normale, le délai de livraison peut arriver aujourd’hui à près de huit mois », alerte Bennani qui chapeaute également le groupe d’Auto Nejma au Maroc. «Nous n’avons plus de voitures à exposer actuellement. Nous avons passé nos commande en mars dernier, et nous attendons toujours la livraison », note t-il. Sur les difficultés sur le marché il ajoute «quand on voit une marque comme Volkswagen qui vend à 40% de moins que l’année dernière sur le marché local et Mercedes qui enregistre une chute de 30% des ventes...la question devient inquiétante ». Impact ? «Si nous avions le nombre de véhicules que nous souhaitions, on aurait pu terminer l’année avec au moins 25% de croissance. Alors que nous sommes aujourd’hui à 3% par rapport à l’année 2019 », déplore le président de l’AIVAM.

Les raisons d’une crise

Le marché des semi-conducteurs fait l’objet d'une guerre technologique entre les grandes puissances industrielles à travers le monde. Selon le membre de l’Alliance des Ingénieurs Istiqlaliens (AII) et spécialiste des TIC, Ahmed Kamal Archane, la crise actuelle est le fruit d’une succession de facteurs. Tout a commencé suite à la guerre commerciale entre la Chine et les Etats Unis. «La décision de Trump d’interdire à Huawei de se fournir en matériau aux Etats Unis a mis de la pression sur le marché. Le groupe chinois s’est approvisionné alors au niveau de l’Asie et a choisi de confisquer des stocks très importants. Les Etats Unis ont fait de même. Et la guerre s’est exportée par la suite vers l’extérieur puisqu’il s’agit des deux pays qui monopolisent l’industrie des semi-conducteurs », explique Archane avant de poursuivre «l’impact covid a été lui aussi déterminant. Au début de la pandémie, nous avons assisté à la fermeture de certaines usines en Chine, en Inde et Malaisie. A la reprise, les fournisseurs n’ont pas pu honorer les commandes d’autant plus que la demande a explosé suite à la transformation digitale des administrations, le télétravail, ...Pour Adil Bennani, l’automobile ne consomme que 12% de l’offre mondiale des semi-conducteurs. Une quantité qu’il juge faible en comparaison avec les 88% nécessaires pour d’autres secteurs comme l’électronique, les téléviseurs, les ordinateurs, les consoles, les téléphones... «Pendant le covid, ces secteurs réalisaient des taux de croissance allant de 20 à 30% au moment où l’automobile était à l’arrêt. Les fournisseurs ont choisi alors de se concentrer sur les activités où il y a de la rentabilité. L’automobile ne figurait plus dans la liste des priorités et nous en payons le prix fort actuellement », indique le même professionnel.

Une industrie incapable de s’adapter

Une question qui se pose alors avec acuité : pourquoi l’industrie n’a pas pu monter en capacité de production pour satisfaire le boom de la demande ? Archane explique «la chaine logistique des semi-conducteurs est composée de différentes phases dont chacune englobe un nombre limité d’acteurs. Le secteur est monopolisé par quelques acteurs, concentrés au niveau de l’Asie et les Etats Unis. Cette concentration a montré ses limites en termes de flexibilité et en termes de résilience vu son incapacité de réagir face à des crises imprévues comme le Covid ». Résultats ? Le montage des véhicules est perturbé par l'approvisionnement des sous-traitants automobiles en microcontrôleurs. «Aujourd’hui, il y a des centaines de milliers de véhicules produits mais en attente d’une puce pour être livré », regrette le représentant de l’AIVAM. Aussi, «les constructeurs optent plutôt pour une stratégie d’optimisation de marges comme c’est le cas par exemple pour Volkswagen qui préfère équiper les véhicules de sa maque Audi pour gagner plus ou encore Jaguar qui va retirer des puces de Jaguar et les mettre dans des voitures BMW...chacun essaie de s’en sortir à sa manière », ajoute le même interlocuteur. Les fournisseurs eux, ont réagi différemment. «Ils ont arrêté les lignes de production des produits d’entrée de gamme et se sont focalisés sur ceux à forte valeur ajoutée pour compenser le manque à gagner », souligne pour sa part Archane.

Quid de la souveraineté numérique ?

Face à une telle pénurie qui dure et perdure, différents pays ont pris conscience du risque stratégique de leur souveraineté numérique. Si aux Etats Unis, Biden a annoncé un investissement colossal de 2300 milliards de dollars dans le secteur des semi-conducteurs, la Chine a opté pour le financement de la deuxième phase de son Fonds national d’investissement dans l’industrie des circuits intégrés pour établir l’autosuffisance dans la production de ces produits. De son côté, l’Union Européenne veut former une alliance entre plusieurs industriels européens dans le cadre d’une stratégie visant à multiplier par deux sa production d’ici à 2030. Qu’en est-il du Maroc ? «le Maroc a tout les atouts pour mettre en place une industrie capable de lui garantir une certaine souveraineté numérique », insiste Archane. Avis partagé par Adil Bennani qui souligne néanmoins, qu’entre le moment de prise de décision et de concrétisation du projet, il faut compter trois ans. «Pendant ce temps, personne ne vous dira ce qui pourra se passer. Nous avons vécu tellement de contre-courants ces deux dernières années que nous n’avons plus aucune visibilité sur le futur. Ce qui est certain par contre, c’est que la situation devrait demeurer précaire jusqu'à la fin du premier semestre de l’année prochaine », conclut-il.