Comment rendre l’investissement plus efficient au Maroc ?
L’investissement privé n’est pas assez orienté vers les secteurs créateurs d’emploi et de valeur ajoutée

Le Maroc affiche, depuis plus de 10 ans, l’un des taux d’investissement les plus élevés au monde. Le défi reste de rendre ces investissements efficients. Le secteur public en est conscient et veut attaquer cette problématique. Le privé, lui, appelle à rendre l’environnement des affaires plus compétitif. 



«L'investissement au Maroc est caractérisé par un réel manque d’efficience », tranche le ministre délégué auprès du chef du gouvernement chargé de l'investissement, de la convergence et de l'évaluation des politiques publiques, lors d’une rencontre organisée par la CGEM dont l’objectif est de discuter des freins à l'investissement et des mesures à mettre en place pour promouvoir l'initiative privée. Mohcine Jazouli, note par ailleurs que le Maroc, affiche, depuis plus de 10 ans, l’un des taux d’investissement les plus élevés au monde, qui se situe à environ 30% du PIB. « Ce taux est plus élevé que celui de pays concurrents tels que la Roumanie, à 25%, la Pologne, à 17% ou encore l’Egypte, à 14%. Il dépasse également la moyenne mondiale qui est de l’ordre de 20% », souligne t-il avant d’ajouter que « ce taux est en croissance constante depuis 2010, avec une augmentation de 3% par an et qu’à un niveau d’investissement similaire, l’économie marocaine enregistre une croissance moyenne de 4% par an quand l’économie de certains pays concurrents croit à plus de 6% par an ».

Si l’investissement fait face à un problème d’efficience c’est pour deux raisons principales, comme soulevé par le ministre. «D’une part, l'investissement au Maroc est majoritairement porté par l’Etat, puisque le public représente 2/3 des investissements alors qu’il représente la plupart du temps moins de 15% ailleurs. Et d’autre part, l’investissement privé n’est pas assez orienté vers les secteurs créateurs d’emploi et de valeur ajoutée », fait t-il savoir.

Investissement plus efficient. La recette de Jazouli

«Au sein du gouvernement, nous sommes tous alignés et fortement mobilisés pour répondre à cette problématique », affirme le ministre. Concrètement, cette volonté se traduit par « le niveau record de l’investissement public prévu par le Projet de Loi de Finances 2022 et qui se situe à 245 MMDH, qui permettra de relancer la dynamique économique et servir de locomotive au secteur privé national », explique Jazouli avant d’insister sur l’amélioration permanente de l’Environnement des Affaires à travers la modernisation du cadre juridique et réglementaire. « Cette amélioration sera matérialisée notamment par la promulgation très prochainement de la nouvelle Charte de l’Investissement qui aura pour objectif d’offrir un nouveau cadre incitatif aux opérateurs privés », annonce t-il. Autres chantiers phares : «la facilitation de l’acte d’investir à travers la simplification et la digitalisation des procédures administratives ainsi que la totale disponibilité des CRI pour fluidifier l’interaction entre l’Etat, les régions et les opérateurs économiques et l’accompagnement dans le financement des projets d’investissement à travers, entre autres, l’activation du Fonds Mohammed VI pour l’investissement », ajoute le ministre.

Face aux acteurs du secteur privé, Jazouli assure que le gouvernement est parfaitement conscient des principales problématiques que rencontrent les investisseurs, que ce soit en termes d’accès au foncier, de coût de l’énergie ou encore de procédures administratives. «L’objectif est de définir ensemble, public et privé, la feuille de route qui fait de vous, opérateurs, les principaux acteurs de la dynamisation de notre économie », estime t-il avant de mettre l’accent sur les atouts et les défis actuels à l’échelle nationale et internationale. L’ambition est donc d’ériger le Maroc comme une destination phare pour les investissements nationaux et internationaux. Pour se faire, Jazouli se fixe des objectifs ambitieux. Il veut ainsi, Stimuler l’investissement privé national, en inversant la répartition actuelle entre l’investissement public et privé pour atteindre 2/3 d’investissement privé et 1/3 d’investissement public à horizon 2035 avec la poursuite de la dynamique positive des IDE au Maroc et l’amélioration de l’impact des investissements en termes d’emplois, de création de valeur et de souveraineté stratégique en ciblant les secteurs porteurs. « Ce travail ne pourra être réalisé qu’à travers une concordance parfaite et une concertation avec l’ensemble des intervenants ayant un rôle à jouer en matière d’investissement », insiste Jazouli.

les recommandations du privé

Le rapport sur le Nouveau Modèle de Développement (NMD) insiste sur la mise en place d’un cadre favorable à l'accroissement de l’investissement privé national et international, avec comme ambition d’atteindre une part de 65% en matière d’investissement privé à horizon 2035, contre 35% actuellement. « Les chefs d’entreprises ont l’investissement dans leur ADN, il faut juste leur donner les bons signaux », précise le patron des patrons Chakib Alj. Dans le cadre de sa contribution à l’opérationnalisation du volet économique du NMD, la CGEM, ressorti un certain nombre de mesures concrètes pour instaurer un environnement des affaires plus compétitif, qui donne envie d’entreprendre. Alj met l’accent sur trois recommandations. D’abord, l’accès au financement. «cet accès reste limité malgré les réformes instaurées pour son amélioration. Le classement "Doing Business” de la Banque Mondiale en 2020 place le Maroc en 119ème position sur 190 en matière d’accès au crédit, alors que sur l’ensemble des autres indicateurs, notre pays se classe dans le top 50 », déplore Alj. Afin de remédier à cette problématique cruciale, il est essentiel selon lui, non seulement de rendre l’offre bancaire plus accessible et plus compétitive, mais aussi de redynamiser le marché boursier, favoriser l'émergence de nouveaux modes de financement comme le crowdfunding, ou encore de mobiliser des montages financiers sous forme de PPP pour des projets stratégiques, notamment à travers l’ouverture de certains secteurs à l’investissement privé comme la santé et l’éducation.

Aussi, Chakib Alj préconise, la création d’une banque publique d’investissement orientée TPME ainsi que l’injection de quasi-fonds propres dans des entreprises affectées par la crise et opérant dans les secteurs stratégiques. Ces quasi-fonds propres pourraient être véhiculés via le Fonds Mohammed VI pour l’Investissement. Autre hic évoqué : le coût des facteurs de production, qui constitue un enjeu de taille pour le Maroc en tant que destination d’investissement. Pour la CGEM, une transformation en profondeur nécessite d’intervenir en urgence sur 4 aspects primordiaux: l'énergie, la libéralisation du marché de la Moyenne Tension et la promotion de l’autoproduction en énergie propre avec capacité de réinjection dans le réseau, la mise en place d’un foncier de qualité et compétitif et des incitations fiscales pour stimuler l’investissement privé et l’adaptation du code du travail aux réalités du marché avec l’introduction de la flexibilité au travail et les nouveaux modes d’emploi. «La législation actuelle représente un réel frein aux investisseurs marocains et étrangers, qui fuient l’industrie pour les services », juge le président de la CGEM qui insiste également sur la simplification des procédures en faveur d’une amélioration notoire du climat des affaires et de la restauration de la confiance Entreprise-Administration.