La géo-éco-politique de la puce
Un nouveau front, la puce électronique

Quel lien y a-t-il entre la démocratie et les semi-conducteurs? La question paraît-elle saugrenue? Un peu de géo-éco-politique

10 mai 2021, sommet démocratique à Copenhague. Après avoir souligné que Taïwan continuera à s’engager auprès de l’UE et d’autres partenaires démocratiques pour un approvisionnement plus fiable de biens critiques tels les semi-conducteurs, la présidente de Taïwan Tsai Ing-Wen, a déclaré qu’ « un accord bilatéral n’aidera pas seulement à sécuriser nos chaînes d’approvisionnement; il protègera nos intérêts mutuels géopolitiques et économiques ». Elle venait de faire le lien entre a haute technologie et la démocratie. Taïwan qui se positionne dans le camp démocratique, fait face à une forte pression de la part de la Chine qui le considère comme sa 23ème province. Or, du moins jusqu’à maintenant, la Chine n’y exerce aucun pouvoir, ce qui veut dire que dans les faits Taïwan est indépendant. Une indépendance qui ne plaît pas à Pékin et qui est tout à fait au goût des Etats-Unis.

C’est que Taiwan dispose d’une carte extraordinaire que les deux grandes puissances voudraient avoir en main, les semi-conducteurs. Au départ c’est une simple question économique. Un pays a développé une industrie dont ont grand besoin tous les grands pays industriels. Rien de ce que les bonnes vieilles lois du commerce ne sauraient résoudre. Si la demande est forte, on vendra au plus offrant. Sauf que parfois le plus offrant peut être un ennemi qui voudrait, en plus que des puces, mettre la main sur tout le pays. Opération qui lui permettrait de concentrer 92% de la production des semi-conducteurs les plus avancés (moins de 10 nanomètres) et ainsi faire la loi sur ce marché devenu hautement stratégique. Les 8% restants sont le fait de la Corée du Sud. On reste donc en Asie.

Pour les Etats-Unis ce ne serait pas une option. D’où le soutien total à Taïwan dans le renforcement de son indépendance. La pénurie actuelle des semi-conducteurs a révélé une réalité inquiétante: la production est fortement concentrée en Asie avec plus de 75%. La Chine, Taïwan, la Corée du Sud, le Japon sont les maîtres de ce super secteur.

Imagine-t-on ce qui pourrait se passer en cas d’une perturbation permanente des fonderies à Taïwan? « Il faudrait au moins trois ans et un investissement de 350 milliards de dollars pour créer suffisamment de capacité dans le reste du monde pour remplacer les fonderies taïwanaises », prévoit un rapport de Semiconductor Industry Association et du Boston Consulting Group.

Or, aujourd’hui, ces puces sont devenues un composant essentiel de produits les plus divers: téléphones, électroménager, automobile, aérien...

Le rapport de la SIA et BCG, intitulé « Renforcer la chaîne d'approvisionnement mondiale des semi-conducteurs à une époque incertaine », constate que « si la structure actuelle de la chaîne d'approvisionnement mondiale des semi-conducteurs basée sur la spécialisation géographique a permis une innovation, une productivité et des économies de coûts considérables au cours des 30 dernières années, des vulnérabilités sont apparues qui doivent être traitées par des actions gouvernementales, y compris des incitations financières pour stimuler la production et la recherche de puces nationales ».

Néanmoins, le rapport montre que le projet n’est pas facile à réaliser: "Une alternative hypothétique avec des chaînes d'approvisionnement locales entièrement autosuffisantes dans chaque région nécessiterait au moins 1.000 milliards de dollars d'investissement initial supplémentaire et entraînerait une augmentation globale de 35 % à 65 % des prix des semi-conducteurs, entraînant en fin de compte une augmentation des coûts des appareils électroniques pour les consommateurs ». On est en présence de deux blocages, les investissements à L’amont, la commercialisation à l’aval.

Mais qu’importe, les gouvernements savent qu’ils doivent agir. Quand il s’agit d’indépendance économique, rien n’est négociable. La Chine a prévu 150 milliards de dollars pour développer l’industrie des semi-conducteurs au moment où les Etats-Unis en ont programmé 50 plus 10,5 milliards pour la création du National Semi-conductor technolgy center. Mais, point fort de ce pays, il reste le leader de la chaîne en matière de Recherche/Développement et de conception.

Entre les USA, la Chine et l’Europe, les premiers sont plus confortables dans ce secteur hautement stratégique. Ils interviennent pour 38% dans la chaîne de valeur mais pour 25% seulement dans la consommation. Contrairement à la chaîne qui consomme 24% mais ne produit que 9% de la valeur. L’Europe est dans la même configuration avec une consommation supérieure à la participation à la création de la valeur, soit respectivement 10 et 20%.

Tous les pays ont compris que les semi-conducteurs sont la clé des marchés. Rien ne peut plus être fabriqué sans ces éléments indispensables, ni voitures, ni téléviseurs, ni téléphones, ni machine à laver, ni avions...

Tout pays voudrait se placer sur cette chaîne de valeur et capter une part plus ou moins grande de cet énorme marché. Le Maroc l’avait bien compris et il s’est positionné comme un sérieux fournisseur, via l’usine ST Microelectronics de Bouskoura, à Casablanca qui fournit un client prestigieux, le fabriquant automobile Tesla.