Enquête – Immobilier : Crise économique ou crise de confiance ?

Au terme d’un examen approfondi de la réalité de l’immobilier auprès de ses différentes parties prenantes, L’Observateur du Maroc et d’Afrique a pu dresser cet état des lieux.

Par Hamza Makraoui

Le pouvoir d’achat des Marocains ne leur permet pas d’acheter un logement ». C’est la réponse, toute faite, que l’on annonce à tout va lors du Salon de l’Immobilier et de l’Urbanisme de Marrakech, qui s’est déroulé du 24 au 27 janvier 2019.

D’ailleurs dans la note de conjoncture distribuée au début de la conférence de presse donnée pour le lancement du salon, il est indiqué que « le manque de moyens » des ménages marocains est le principal frein à la demande, s’établissant à 48,1%. « Le coût élevé de l’immobilier », lui, ne représente que 5,5%, sans qu’aucune corrélation ne soit établie entre les deux supposées causes de la stagnation du marché de l’immobilier. Où réside donc la vraie source du mal ? Pour répondre à cette question, nous avons interrogé promoteurs, banquiers, notaires et acquéreurs potentiels.

Crise ou pas crise ?

 Au niveau national, plusieurs notaires ont vu leurs chiffres d’affaires baisser de moitié, confie Mohammed Moumah, Président du conseil des notaires de Marrakech, à L’Observateur du Maroc et d’Afrique. « Le trend baissier des transactions immobilières se répercute directement sur notre profession », insiste-t-il.

On pourrait penser que l’offre en unités immobilières ne couvre pas la demande, mais ce n’est pas exactement le cas, comme l’explique Mohammed Lahlou, président de l’Agence marocaine des agences immobilières.

De passage dans une émission sur une chaine publique, Lahlou explique que les promoteurs préfèrent payer des frais supplémentaires pour leurs stocks (ndlr : de logements prêts à la vente), plutôt que revoir leurs prix à la baisse.

Objectif : attendre une meilleure opportunité pour pouvoir écouler leurs stocks. Les chiffres officiels lui donnent raison. Selon la dernière étude du ministère de l’Habitat et de la politique de la ville (mars 2016), la demande en logement s’élève à l’échelle nationale à 1.572.893 unités d’habitation. L’appartement se place en pôle position avec une demande qui culmine à 54,3%, suivie de la « maison marocaine moderne» (41%).

« Le citoyen a envie d’acheter, sauf que les prix restent élevés et surtout, ils ne cadrent pas avec la qualité proposée », explique Moumah. Avant de conclure : « Le marché n’est pas régulé. Il y a des lois et certains trouvent du plaisir à violer ces lois ».

La Cour des comptes établit d’ailleurs le même constat concernant précisément le logement social, segment pourtant où la demande est des plus fortes. Dans son dernier rapport, la Cour pointe du doigt « l’absence d’une réglementation précise et des dispositions juridiques adaptées devant permettre de définir de manière précise le logement social ». Car rappelons-le, ce type de logement, dit aussi économique, constitue 80% du marché.

Prisé par les promoteurs pour les exonérations fiscales ainsi que les subventions de l’Etat dont il bénéficie, ce segment du marché est devenu une niche de dérive. Une source de l’ordre des notaires nous a assuré que la marge de bénéfices de certains promoteurs peu scrupuleux dépasse les 300%. « Le coût de revient de la construction de certains types de logements sociaux ne dépassent pas les 70.000 dirhams et ils sont vendus à 250.000 dirhams ! », assure-t-il.

Pire encore, souvent, la qualité des finitions est très en deçà des attentes.

 

 

Des clients de plus en plus exigeants

 

Lors du Salon de Marrakech, nous avons approché des ménages désireux d’acquérir un logement. Sur les six ménages que nous avons interrogés à propos des freins éventuels dans l’achat de logements, cinq ont évoqué le problème de la qualité qui ne cadre pas avec le prix. Tous disent être prêts à débourser de 250.000 à 300.000 dirhams pour un appartement, encore faut-il que la qualité soit au rendez-vous.

Un promoteur immobilier, qui exposait ses offres au Salon, le confirme : « Les clients sont très attentifs à la qualité. Et par qualité j’entends la qualité de la finition, les matériaux utilisés, l’emplacement. Les Marocains sont devenus beaucoup plus exigeants ».

Et ce constat est d’autant plus vrai pour le haut et le moyen standing, comme pour le logement social. « Les Marocains ne cherchent plus à se loger rien que pour se loger, ils sont désormais demandeurs d’un cadre de vie agréable », assure ce promoteur.

L’autre partie de la réponse se trouve aussi dans le budget logement des Marocains. Les chiffres du HCP font ressortir que 40% parmi ceux qui sont désireux d’acheter un appartement touchent des salaires entre 2.000 à 4.000 dirhams, la prudence reste donc de mise avant de sauter le pas vers un crédit immobilier et donc un investissement à long terme.

Du coté des banques, l’embellie se fait toujours attendre concernant les crédits logement. Pourtant, les taux d’intérêts pratiqués ces derniers temps sont décrits comme étant historiquement très bas.

Mais deux problèmes persistent : « Le noir d’un côté et les grosses avances qui découragent les clients », explique un couple qui se compte parmi les nombreux hésitants rencontrés à Marrakech, mais aussi à Casablanca. « Il y a des offres sympas niveau budget, mais les avances demandées sont monstrueuses. Pour devenir propriétaire, on se trouve obligé de contracter deux crédits, un à la consommation et un autre immobilier. Pour moi c’est intenable ! », regrette un jeune casablancais fraîchement marié. Il se demande comment les ménages qui vivent au SMIG peuvent acheter un appartement. « C’est juste impossible », conclut-il.

Saber, commercial chez Wafa Immobilier, abonde dans le même sens en affirmant que les prix restent très élevés pour les ménages marocains, « surtout pour la qualité proposée ». Du reste, pour lui, « le noir » continue, malgré tout, à poser problème.