Projet de loi sur la grève, syndicats et patronat face à face

Contrairement à ce qui était prévu, le projet de loi sur la grève n’a pas été présenté finalement ce mercredi 16 septembre devant le parlement. Syndicats et patronat, chacun défend sa position. Et le bras de fer continue

Mounia Kabiri Kettani

Le torchon brûle entre syndicats et patronat. Pomme de discorde : le projet de loi organique sur le droit de grève. Le gouvernement avait programmé sa présentation ce mercredi 16 septembre devant la commission des secteurs sociaux de la chambre des représentants. Aussitôt annoncée, les syndicalistes sont sortis de leurs gonds. Ils sont unanimes : pas question de faire passer le projet sans être consultés, et surtout pas en cette période de crise pandémique économique et sociale. Pour eux, c’est un acte de provocation du mouvement syndical.

Une décision unilatérale

De l’avis de Miloudi Moukharik, secrétaire général de l'Union marocaine du travail (UMT), le gouvernement a pris la décision de manière unilatérale au moment où le chef de l’exécutif lui-même s’est engagé dans le cadre de l’accord signé le 5 avril 2019 à ne le présenter qu’après des consultations et négociations avec le mouvement syndical. Ça d’une part. D’autre part, il ajoute que « cette loi dite organique est plutôt une loi pénale rétrograde qui va placer notre pays dans la case de ceux qui transgressent les droits de l’homme ». « Quelles sont les raisons qui poussent à une grève ? », se demande t-il avant de poursuivre « De l’avis et de l’aveu du gouvernement lui-même,  67% des grèves déclenchées dans le pays sont dues à l’inapplication du code du travail, la violation de l’immatriculation à la CNSS, des règles d’hygiène et de sécurité… ». Moukharik tient à souligner dans ce sens que « l’UMT n’est pas contre une loi organique puisque cela est prévu par la constitution. Mais, il milite plutôt pour un projet qui viendrait protéger le droit de la grève et des salariés, ce qui selon lui, n’est pas le cas. «On ne goulotte pas un droit constitutionnel. Pour le mouvement syndical national et international, cette loi organique est censée protéger ce droit,  or nous avons l’impression qu’elle est là pour le restreindre », insiste t-il.

Ce n’est pas le moment !

«Ce n’est pas le moment de présenter une telle loi dans un contexte aussi particulier de covid-19», fustige Miloudi Moukharik. De son côté, la CDT déplore « l’exploitation de l’état d’urgence » pour programmer ce projet. «Il y a d’autres priorités dans le pays que ce projet de loi. Nous faisons face à une situation épidémiologique inquiétante avec l’absence de signes de contrôle sur le virus, la perte d’emplois depuis le début de la pandémie, ainsi que les licenciements continus de travailleurs », s’indigne la centrale syndicale. Loin  des syndicalistes, certains députés de gauche sont du même avis, à l’instar de celui de la fédération de la gauche démocratique, Mustapha Chennaoui qui sur son compte facebook, a exprimé son regret quant à cette décision du gouvernement, qu’il estime contraire aux coutumes et en contradiction totale avec ce que vit le pays. «Le gouvernement  donne la priorité à ce projet pour museler les salariés et violer leurs libertés », tranche-il.

 Moment propice

Le patronat lui, a un autre avis. Et Hicham Zouanat, président de la commission sociale à la Confédération générale des entreprises au Maroc (CGEM) estime que c’est le moment propice pour faire aboutir cette loi, qui fait d’ailleurs partie des engagements du gouvernement dans le cadre de l’accord du dialogue social signé en avril 2019. «Cela fait des années qu’on attend cette loi qui a beaucoup tardé à voir le jour. Et à chaque fois, le même problème se pose. Aujourd’hui, ce projet devient une nécessité », explique t-il. Comment ? «C’est une loi qui a pour objectif de prévenir les conflits avant qu’ils ne surviennent. Et nous sommes dans une situation où le risque de conflictualité est inévitable. Donc c’est le moment où jamais. Si elle entre en vigueur dans un contexte où il n’y a pas de risques, elle n’aura aucune importance », justifie Hicham Zouanat avant d’ajouter : «en tant que patrons, nous optons plus pour un processus de dialogue pré-conflits qui prévoit la conciliation, la médiation… avant d’entamer une grève qui reste cependant un droit légitime ».

Les zones de turbulence

En dehors du timing de programmation de la présentation du projet devant le parlement, Miloudi Mouharik nous confie que parmi les points qui constituent, selon lui, une violation expresse des droits des salariés, la démarche de constitution d’une structure syndicale. « Celle-ci requiert une autorisation administrative de la part des autorités locales, ce qui est interdit au niveau international », déclare t-il. Autres hics du projet, la nécessité d’aviser le patron de la tenue d’une réunion syndicale 15 jours à l’avance et le respect d’un préavis de 3 mois et 10 jours avant le déclenchement d’une grève. «Nous ne sommes pas contre le préavis, mais il doit être moralement raisonnable sans dépasser quelques jours », affirme le secrétaire général de l’UMT.

La séance de présentation du projet au sein du parlement n’a pas eu lieu finalement. Mais on ignore si le projet en lui-même a été annulé ou reporté. Syndicats et patronat, nous assurent que la porte de négociation, entre les deux parties, reste ouverte. Mais une chose est sûre, le débat s’annonce houleux. Et la tâche ne sera guère facile.